Lapides clamabunt

Samedi 29 juin à Gioux s’est tenue la cérémonie publique de ré inhumation des ossements retrouvés au début du chantier de la nouvelle salle polyvalente, et d’inauguration du jardin lapidaire André Ramade. Une action de défense du patrimoine certes modeste mais remarquée.

Voilà bientôt 3 ans que, en juillet 2016, les fouilles préventives effectuées par les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) en vue du chantier de la salle polyvalente sur la Place de l’Eglise ont mis à jour plusieurs sépultures. En septembre 2017, au début des travaux, d’autres sépultures, pierres tombales et couvercles de sarcophages ont été découverts. Au total, ce sont des tombes de la période médiévale au XIXe siècle qui ont été mises à jour. Les ossements de la tombe la plus ancienne ont été envoyés au Centre de Datation par le Radiocarbone de Villeurbanne ; les résultats de l’analyse nous ont indiqué un âge calibré des ossements de 1042 à 1210 ap. J.-C., venant confirmer la présence d’un cimetière médiéval au niveau de la Place de l’Eglise. Des pièces de monnaie retrouvées près d’une autre sépulture permettent de dater celle-ci du Second Empire, période comprise entre 1852 et 1870. Entre ces deux tombes, ce sont 700 ans qui se sont écoulés !

C’est au niveau de la Place de l’Eglise que se trouvait l’ancien cimetière paroissial, puis communal, de Gioux. C’est là que, durant un millénaire, peut-être plus, les habitants de Gioux, nos ancêtres, étaient ensevelis, génération après génération.

A l’initiative de notre association, les ossements ainsi exhumés du chantier ont été préservés, de même que les vestiges présentant un intérêt historique et patrimonial, en vue d’une ré inhumation dans un jardin lapidaire. Qu’est-ce qu’un jardin lapidaire ? Il s’agit d’un espace réunissant des vestiges archéologiques témoins de l’histoire d’un lieu.

Il y a tout juste un an, le 29 juin 2018, l’association demandait de manière officielle au conseil municipal de Gioux l’autorisation de créer un jardin lapidaire dans le nouveau cimetière, demande acceptée à l’unanimité par délibération du 6 juillet 2018. Lors de la dernière Assemblée Générale de notre association, qui s’est tenue le 15 mars 2019, il a été décidé également à l’unanimité de dédier cet espace à la mémoire de l’abbé André Ramade, ainsi que de placer dans le jardin lapidaire une plaque commémorative portant l’inscription « Lapides clamabunt » (les pierres témoigneront) et un panneau explicatif.

Portant à la transmission du patrimoine un intérêt aussi attentif que certain, l’abbé Ramade, curé de Gioux de 1851 à 1868, nous a laissé ses « Recherches sur la paroisse de Gioux », un ouvrage remarquable consacré à l’histoire locale. Par ses recherches, ses transcriptions, ses compositions, l’abbé Ramade aura sauvegardé une partie du patrimoine haut-marchois ainsi que des bribes de notre mémoire locale. Rappelons de plus que c’est en partie grâce à son travail que le site Gallo-romain de Maisonnières a été découvert, et que l’association Gioux Patrimoine a vu le jour. Sans lui, tout un pan de notre mémoire collective aurait disparu, et il n’est pas certain que notre association aurait été créée. L’abbé Ramade s’est éteint le 17 août 1869 à Lourdoueix-Saint-Pierre, un an après avoir quitté sa cure de Gioux. L’année 2019 marque donc les 150 ans de sa disparition.

Constatant au niveau de l’Occident les ravages d’une mondialisation effrénée, et plus proche de nous un individualisme exacerbé, il apparaît aujourd’hui nécessaire de conserver sa mémoire et, en premier lieu, de diffuser son oeuvre, d’en garder l’esprit, et de le transmettre. La création de ce jardin lapidaire est, aussi, dans sa faible mesure, un moyen de s’y employer.

Fixée au samedi 29 juin 2019, jour de Saint Pierre, patron de notre église, la cérémonie est venue clôturer plusieurs mois de travail. A 11 H a eu lieu la messe de Saint Pierre, avec une pensée particulière pour tous les défunts de Gioux. A l’issue, au son des cloches l’assistance s’est déplacée jusqu’au nouveau cimetière. Après dévoilement de la plaque commémorative et du panneau explicatif, Olivier Peyrataud, premier adjoint et Pierre-Alain Caunet, vice-président de Gioux Patrimoine ont tour à tour pris la parole, respectivement au nom de madame le Maire, absente, et de l’association. Les discours ont été suivis d’un instant de recueillement en l’honneur de nos morts, puis le Père Jean-Luc Puig a procédé à la bénédiction du sarcophage. A compter de ce jour, le jardin lapidaire André Ramade est, et sera tout à la fois :

  • Une sépulture collective ;
  • Un hommage rendu à l’abbé Ramade ;
  • Ainsi qu’un lieu de souvenir et de réflexion, car pour paraphraser François René de Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe : « Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts. Les morts, au contraire, instruisent les vivants. »

La réalisation de ce jardin lapidaire est une oeuvre collective, permise grâce au travail de plusieurs bénévoles de Gioux Patrimoine, mais aussi avec le soutien de partenaires extérieurs. Nous adressons nos remerciements à Frédéric Metenier, archéologue de l’Inrap ainsi qu’à Jacques Roger, responsable du Service Régional de l’Archéologie (SRA), pour leur partage de l’information, à la municipalité de Gioux pour sa collaboration et sa participation financière, à Jean-Claude Levacher et Delphine Lefort, employés communaux, pour leur appui technique, au Père Jean-Luc Puig pour avoir assuré la bénédiction, ainsi qu’à toutes les personnes présentes à la cérémonie.

Le partage du verre de l’amitié a permis de prolonger un peu ce moment communautaire.

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